Se former au dessin scientifique

« Le dessin scientifique a pour but d’interpréter et d’illustrer par le biais de techniques graphiques l’éternel dialogue entre l’homme et la science. » (Pascal Le Roch, MNHN, Paris)

Dans le contexte de la thèse que je mène en génétique à Sorbonne Université, il m’est demandé, comme à tout doctorant inscrit dans une école doctorale en France, de suivre un certain nombre de formations. Au total, sur les trois ans de thèse que dure un contrat doctoral, je me dois d’avoir fait au minimum 100 heures de formation (c’est un minimum, mais il ne faut pas non plus dépasser ce quota de trop, sinon on donne l’impression d’avoir passé plus de temps en formation qu’en train d’avancer sur ses travaux de recherche! En ce qui me concerne, je ne suis même pas encore en 3ème année de thèse que j’ai déjà bien dépassé les 100 heures… Oups!). Ces formations peuvent être assez éloignées de nos thématiques de recherche, mais doivent pouvoir se justifier dans notre projet professionnel global.

Pour ma part, travaillant d’arrache-pied sur Beink, la société que je lance en parallèle de ma thèse, je cherchais à me créer des contacts dans le milieu des dessinateurs scientifiques, à découvrir leurs outils, leurs problèmes, leurs attentes et leurs ambitions. C’est donc sans surprise que j’ai sauté sur l’occasion lorsque j’ai découvert l’existence de la formation Dessin Scientifique proposée par l’Ecole Doctorale du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris (MNHN), dont le responsable pédagogique est Didier Geffard-Kuriyama. Et l’expérience a été bien au-delà de mes espérances! Laissez-moi vous présenter en quelques phrases et images l’univers fabuleux que vous ouvre cette formation.

Cette formation, elle consiste en quoi en fait ?

La formation dure une semaine complète, du lundi au vendredi, de 9h à 17h environ. Les journées sont rythmées par des conférences sur des sujets aussi divers que le dessin préhistorique ou la taxonomie, présentés par les artistes et artisans eux-mêmes ; par des visites très privilégiées de collections non accessibles au public ; et bien sûr par des ateliers pratiques! Voir le planning de la formation 2021 en fin de cet article.
Il me faudrait plusieurs articles pour tout vous présenter! Aussi je vais ici me concentrer sur les ateliers et les techniques enseignées.

Présentation des techniques pratiquées :

Dessin scientifique à la chambre claire

Cours dispensé par Jean-François Dejouannet.

Dans le précédent numéro du Bulletin Officiel de Beink, je vous avais présenté le principe de la chambre claire, cet outil d’aide au dessin qui vous rend maître des perspectives et de l’exactitude des formes ! (Voir l’article correspondant ici).

Photo prise par Ludivine Longou, on l'on voit Eduardo, Erika et Julia en plein travail d'observation et de dessin.

Julia encore, parce que c'est une chouette fille 😉 Photo par Ludivine Longou.

L'objet d'étude que j'ai choisi: un crâne de chauve-souris.

Naïvement, je me suis dis: « Ha super, même plus besoin de faire des brouillons, on dessine directement à l’encre alors! » Hé bien pas du tout! Parce que même si le principe est séduisant, dans les faits l’oeil accommode sans cesse entre l’image observée et le papier, rendant difficile de discerner précisément ce que nous avons déjà dessiné de ce qu’il nous reste à faire! Alors on travaille d’abord au crayon de papier, et on s’applique non seulement à dessiner les contours et les textures, mais aussi à marquer les zones d’ombre et de lumière.

Mon masque à Paillettes et moi, travaillant. Photo par Ludivine Longou.

Ici, je ne vais donc pas expliqué l’outil, mais simplement la manière dont on s’en est servi. La chambre claire la plus connue (lorsqu’elle est connue!) est la chambre claire transportable, utilisable en plein air. Dans cet atelier, nous avons utilisé une chambre claire particulière, puisqu’adaptée à l’observation à la loupe binoculaire ou au microscope. Le principe reste le même: l’image de ce qu’on observe se superpose avec la feuille sur laquelle nous dessinons, nous permettant ainsi de décalquer les contours.

Ce que mon oeil voit à travers l'oculaire de la loupe.

Lorsqu’on est satisfait du niveau de détail obtenu, on passe à l’encre! Alors sur papier calque, on décalque les contours. Ensuite, nous nous sommes formés à la technique du petit point pour marquer les zones d’ombre et de lumière précédemment marquées. Plus les points sont resserrés, plus la zone devient sombre, à l’inverse, des points écartés donneront une sensation de lumière.

Le brouillon réalisé à la loupe binoculaire avec chambre claire, au crayon de papier. Contours et des zones d'ombre.

(Photographies par Ludivine Longou et Jeanne Le Peillet).

J’ai été estomaquée de comprendre que je pouvais créer une arrête dont on comprenne le volume uniquement avec des points, sans user d’aucun trait!
En tout cas, je pensais ne jamais (au grand jamais!) me mettre à dessiner au petit point, étant moi-même une adepte du petit trait et trouvant cela déjà bien assez laborieux comme ça. Mais étonnement, j’ai pris un plaisir inattendu à faire émerger des volumes de ma feuille par l’unique apposition de points minuscules.

Visuel final de mon travail sur loupe binoculaire en chambre claire, technique du petit point.

Dessin scientifique d’observation

Cours dispensé par Pascal Le Roch

Les bureaux des dessinateurs et chercheurs. Photo JLP.

Pour ce cours-ci, nous avons eu l’honneur de travailler au sein même des bureaux de la Grande Galerie de L’Evolution, au dernier étage : un lieu inconnu du public, tout en anciennes boiseries et parsemé de dessins et peintures scientifiques! Un véritable régal.

Ici, nous avons à nouveau fait face à un objet à dessiner (plusieurs même), mais cette fois à l’œil nu. Nous avons travaillé sur une feuille morte et une vertèbre de femme (morte aussi du coup). J’ai demandé, mais non ce n’était pas les vertèbres de la femme de notre enseignant. Chacun pouvait choisir la vertèbre qu’il préférait, sachant que certaines étaient grosses et très poreuses (demandez donc à Julia de ce qu’elle a pensé du travail que lui a demandé la vertèbre qu’elle avait choisie héhé), tandis que d’autres étaient plus petites et présentaient moins d’aspérités. Pour ma part, j’ai choisi une lombaire, une petite vertèbre moyenne ! L’exercice était de la dessiner de face et de profil, selon deux techniques différentes: l’une en traits pleins, l’autre en hachures, les deux à l’encre.

J’ai trouvé l’exercice au trait plein particulièrement compliqué: moi qui ai l’habitude d’ajouter des petits traits partout, garder le dessin le plus épuré possible était un vrai challenge! Je me suis fais beaucoup plus plaisir sur la version en hachures. Ici, nous avons simplement fait une première esquisse au crayon avant de repasser à l’encre directement sur le même papier.

Visuel final de l'atelier Dessin d'observation.

Dessin vectoriel avec Inkscape

Cours dispensé par Laurence Billault

Inkscape est un outil que j’utilise déjà régulièrement, en dehors de cette formation. Je m’en sers pour vectoriser des dessins. Je pourrais d’ailleurs vous faire une présentation de la manière de vectoriser un dessin ou une photo sur Inkscape et vous montrer des exemples d’utilisations.
Mais ce jour-là, ce que j’ai appris de révolutionnaire par rapport à mes connaissances, c’est l’utilisation de Inkscape pour créer des plans! L’utilité? Imaginez que vous devez créer des flyers pour votre exposition ou votre congrès, et que vous souhaitez indiquez à vos invités comment se rendre sur place. Vous vous dites: « Je vais faire une capture d’écran hideuse sur Google Maps et croiser les doigts pour que les gens trouvent… ». Ou alors vous prenez quelques minutes pour retracer le plan vous-même: c’est assez rapide quand on connait l’outil, et plutôt ludique! J’ai eu l’impression de créer un jeu vidéo ou de jouer à Sim City, j’ai eu du mal à m’arrêter! Et le résultat une fois le travail accompli (je n’ai pour ma part pas eu le temps de finir) est bluffant.

Ma construction inachevée du plan de Paris autour du Jardin des Plantes.

Retouches et mise en page numériques

Cours dispensé par Didier Geffard-Kuriyama

Ce cours arrive en fin de formation, et ce pour une bonne raison: le but est de traiter les dessins réalisés au cours de la semaine pour les mettre en forme, tel un pro! Après numérisation de nos travaux, nous nous servons d’un logiciel de retouche d’image (type Adobe Photoshop, Affinity Photo ou Corel Photo-Paint) pour nettoyer les scans obtenus. Sur cette étape, je me suis sentie comme un poisson dans l’eau puisqu’il s’agit d’un traitement que je réalise déjà toutes les semaines aussi bien sur mes dessins personnels que sur mes dessins scientifiques.

En cours, avec Didier, Eduardo, Julia. Photo par Ludivine Longou.

Mais même quand on croit avoir fait le tour de la question, on découvre encore des subtilités qu’on ne soupçonnait pas !
Vient ensuite l’étape de mise en page: le dessin scientifique, au même titre que la science, répond à un ensemble de codes rigoureux. Ainsi, chaque dessin doit contenir un titre et une échelle. Le titre doit faire état de la nature de l’objet, de la manière dont il a été observé (par exemple, est-ce un dessin est fait d’après observation au microscope?) et de la technique utilisée pour le réaliser (encre, crayon, etc).
Agencer les dessins et les textes de manière à la fois esthétique et significative n’est pas un jeu d’enfant, ou alors si c’en est un, c’est pour les enfants dégourdis !

Visuel final des dessins réalisés pendant la formation. Mise en page sur Photoshop.

Planning de la formation 2021:

Lundi 14 juin

9h30 — Rémi Berthon et Didier Geffard-Kuriyama : ‘Ouverture du module, prodrome’

10h — Pascal Le Roch : ‘Lumières et matières : Règles académiques et dessin naturaliste ou scientifique’

11h — Guillaume Lecointre : ‘En quoi le dessin est essentiel à l’histoire naturelle’

14h — Renaud Chabrier : ‘Nouveaux usages de la spatialité du dessin dans l’histoire naturelle’

15h — Julien Norwood : ‘Le dessin naturaliste et scientifique de terrain’

16h — Samuel Iglésias : ‘Les progrès technico-artistiques de l’iconographie scientifique du moyen-âge au 20e siècle, exemple en ichtyologie’

Mardi 15 juin

9h45 — Didier Geffard-Kuriyama : ‘Petit panorama subjectif des conventions et techniques du dessin scientifique’

11h45 — Maria Rousou : ‘Le dessin scientifique comme méthode d’étude, de documentation et de médiation en archéologie’

14h — Anouk Barberousse : ‘Comment le dessin peut-il contribuer à la constitution des connaissances scientifiques’

15h — Camille Degardin : ‘La peinture numérique appliquée à l’illustration naturaliste et scientifique’

16h — Christelle Téa : ‘Un regard d’artiste en résidence au muséum’

Mercredi 16 juin

Ateliers, dessin scientifique — techniques académiques:

9h15 à 12h45 — ’Dessin scientifique à la chambre claire’ — Jean-François Dejouannet

13h30 à 17h — ‘Dessin scientifique d’observation’ — Pascal Le Roch (salle des cours de dessin de la GGE)

Jeudi 17 juin

Ateliers, dessin scientifique — techniques numériques:

9h30 à 12h30 — ‘Dessin vectoriel avec Inkscape’ — Laurence Billault

14h00 à 17h — ’Retouches et mise en page numériques’ — Didier Geffard-Kuriyama

13h30 — Emmanuel Cotez : ‘Comprendre les instructions aux auteurs, pour les figures, des journaux du muséum’

Vendredi 18 juin

10h — Alice Lemaire et Marion Brunetti : ‘Le dessin scientifique dans les collections de la bibliothèque centrale : présentation de documents et visite’

13h30 — Ludivine Longou et Jérémie Morel : ‘L’iconographie scientifique contemporaine pour la botanique’

14h30 — Ségolène Riamon : ‘Le dessin scientifique d’inférence en paléontologie – Investigations à la chambre claire’

15h30 — Vincent Cuisset : ‘De la morphométrie des origines à la taxidermie contemporaine’

Bilan et clôture : verre au bar d’à côté, dans une ambiance super sympa. Merci Didier, et merci à tous ceux qui ont suivi cette formation, j’ai fait des rencontres incroyables.

Pourquoi suivre la formation Dessin Scientifique du MNHN ?

– Apprendre les techniques et les codes du dessin scientifique.

– Apprendre les outils numériques des dessinateurs scientifiques.

– Découvrir des lieux insolites du Campus du Museum et des collections inaccessibles au public.

– Se former avec Didier dans une ambiance exceptionnellement bienveillante, drôle et instructive.

– Rencontrer d’autres personnes ayant les mêmes centres d’intérêt que vous: le dessin. Chacun ici suit cette formation pour des raisons divers, mais tous aiment dessiner, même sans pratiquer le dessin régulièrement. J’ai rencontré des étudiants faisant des thèses dans des domaines dont j’ignorais même l’existence!

– Se créer un réseau de contacts de qualité aussi bien parmi les participants que parmi les intervenants.

Lien de la formation que j’ai suivie, dont le responsable pédagogique est Didier Geffard-Kuriyama : https://www.adum.fr/script/formations.pl?mod=279288&site=edcp

En ce qui concerne le dessin scientifique, Didier Geffard-Kuriyama est également responsable pédagogique d’une UE M2 d’une semaine (3 ECTS) au MNHN, d’ateliers et de formations courtes pour les enseignants et les scolaires, d’une formation de trois jours qui doit avoir lieu tous les deux ans pour des post-docs de l’Institut Curie, d’une UE M1 d’une semaine (3 ECTS) au MNHN (Jean-François étant également co-responsable de cette dernière UE).

Lien d’une autre formation au dessin scientifique que celle de l’école doctorale, organisée par Pascal Le Roch sur toute l’année pour le grand public et les étudiants : https://formation.mnhn.fr/fr/formations/dessin-scientifique-2691

Attendez-vous à retrouver dans de prochains numéros de Beink des articles écrits pour vous par quelques-uns des intervenants cités dans le planning de la formation!

Crédits Photos:

Ludivine Longou

Jeanne Le Peillet

– Le MNHN

Partagez